1. Principe de la propulsion nucléaire 
Le principe général de la propulsion nucléaire des
navires (cf fig1) est le suivant :
· un réacteur nucléaire (généralement - mais non systématiquement - du type à eau sous-pression) alimente en vapeur une turbine
· l’énergie mécanique de la turbine est utilisée pour faire tourner l’arbre d’hélice du navire :
· soit de façon directe par l’intermédiaire d’un réducteur ; on parle de propulsion turbo-mécanique,
. soit en passant par l’intermédiaire de l’électricité ; on parle alors de propulsion turbo-électrique,
. en complément, la vapeur produite par le réacteur fournit l’électricité et l’eau douce du bord.
Fig. 1 : Principe d’une propulsion
turbo-électrique
Le combustible nucléaire (1) contenu dans la cuve du réacteur (2) chauffe
l’eau primaire (3). Cette eau passe par circulation naturelle
dans le générateur de vapeur (4) et permet une vaporisation de
l’eau secondaire (5) pour alimenter les turbines (6). L’eau
secondaire est refroidie dans le condenseur (7) avant d’être
renvoyée dans le générateur de vapeur. Chaque turbine entraîne
deux alternateurs (8) et (9). Les alternateurs de propulsion
(9) produisent l’électricité nécessaire au moteur électrique
principal (10) qui entraîne directement l’hélice (11) -
Les alternateurs de force (8) fournissent l’électricité
nécessaire aux installations du bord. La chaufferie nucléaire
est confinée dans un compartiment indépendant strictement surveillé
et protégé.
2. Particularités du réacteur nucléaire de
propulsion navale 
Le concept de base du réacteur à eau sous-pression
classiquement utilisé en propulsion navale diffère très peu des réacteurs
de la même filière utilisés pour les applications électrogènes. Ceci
est d’autant plus vrai que les premiers réacteurs à eau sous-pression
électrogènes sont des réacteurs de propulsion navale « posés à
terre » et augmentés en puissance. Par contre, la finalité de l’application
et l’environnement dans lequel se trouve placé le réacteur de
propulsion navale affecte profondément la conception détaillée et la
technologie.
2.1. L’intégration,
l’adaptation et l’imbrication avec le navire
Le réacteur électrogène de propulsion navale n’est
qu’un composant, relativement autonome, d’un ensemble plus
vaste, le navire, dont la finalité ne dépend nullement du mode de propulsion
choisi. Les installations auxiliaires du réacteur (réfrigération, ventilation,
systèmes de sécurité, systèmes de conduite, servitudes diverses etc.)
se trouvent intimement mêlées au reste des installations du navire,
spécialement dans le cas des sous-marins ou l’économie de moyens
et l’exiguïté obligent à confondre de nombreuses installations
auxiliaires du navire et du réacteur. La conception générale du système
est d’autant mieux réussie que l’on sera parvenu à intégrer
et confondre les installations auxiliaires ou de servitude nécessaires
au réacteur avec les autres installations du navire. Exemples assez
typiques :
· les structures du sous-marin coque et cloisons résistantes à la pression
de la mer sont confondues avec les cloisons nécessaires au confinement
du réacteur,
· le hangar d’aviation du porte-avions sert également de hall de déchargement/rechargement
du combustible,
· les équipements du navire susceptibles de constituer des écrans de protection
contre les rayonnements vont être mis à profit pour réaliser les protections
biologiques (réserves d’eau ou de carburant, blindages, grosses
capacités, etc.),
· les réserves d’eau douce du navire dévolues à d’autres usages
sont utilisées pour le renoyage du cœur en cas d’accident,
· sur le porte-avions, les moyens de lutte incendie du navire sont utilisés
pour la réfrigération à long terme de l’enceinte réacteur en cas
d’accident,
L’architecture du réacteur, son fonctionnement,
son mode d’exploitation sont gouvernés par l’intégration
et l’adaptation au navire. Les aspects les plus évidents concernent
bien sûr l’encombrement et la masse du système, surtout dans
le cas des sous-marins, mais ils ne sont pas les seuls. Plus généralement,
“l’environnement navire” représente une contrainte
importante à prendre en compte pour le réacteur qui conduit souvent
à des dispositions originales :
· inclinaisons de plate-forme, roulis, tangage,
· accélérations chocs (cas des navires brise-glaces par exemple),
· ambiance marine corrosive,
· agressions de nature variées (explosion d’armes et artifices).
2.2. La manœuvrabilité
Le navire doit pouvoir évoluer de façon suffisamment
rapide pour éviter des obstacles ou échapper à une menace. Les ordres
de grandeur sont typiquement les suivants : de 10% à 100% de puissance
en 30 secondes à 1 minute.
Dans le cas des navires brise-glace le « raming »
- manœuvre constituant à “monter” sur la glace pour
l’écraser de son poids - grâce à une étrave très inclinée et renforcée
-puis à faire marche arrière et recommencer - est particulièrement
éprouvant pour le matériel en général dont notamment le réacteur.
Dans le cas du porte-avions Charles de GAULLE, les
manœuvres de catapultage conduisent, elles aussi, à solliciter
sévèrement les installations. Le réacteur doit répondre de façon fiable
et sûre à tous ces transitoires d’appel de charge.
2.3. La disponibilité
Pour un sous-marin, la perte de la propulsion peut
constituer un événement très grave. Si cet événement est concomitant
avec une autre difficulté sérieuse, la conséquence peut en être la
perte du navire. Dans le cas du porte-avions, la récupération des avions
nécessite la mise en service de la propulsion.
D’une façon générale, on s’attache à
faire en sorte qu’une avarie inopinée, unique, affectant le réacteur
et la conversion d’énergie ne conduise pas à la perte complète
de la propulsion. Exemples typiques:
· les avaries inopinées du pompage primaire qui ne doivent pas conduire
à l’arrêt complet du réacteur mais, simplement, à une réduction
d’allure prioritaire rapide,
· la redivergence, suite à un arrêt d’urgence survenant inopinément
à la mer qui doit être possible à tout moment suivant l’arrêt
de réacteur donc, notamment, au moment du “pic xénon” d’empoisonnement
du réacteur.
2.4. Les aspects sûreté
Les aspects sûreté présentent des différences assez importantes avec le réacteur électrogène :
· le terme source du réacteur de propulsion navale est sensiblement plus
faible ; en activité des produits de fission le rapport va de 60
à 120, compte tenu de la puissance des installations et de leur taux
d'utilisation,
· lorsqu’il est au voisinage des populations, le réacteur de propulsion
navale est à l’arrêt ou éventuellement en marche à faible puissance.
A la mer, les conséquences d’un accident n’affecteraient
directement que les personnes embarquées et l’environnement marin.
La vitesse au retour, ou de manoeuvre au port, est modérée ce qui réduit
la puissance résiduelle post-arrêt. Ce contexte assez différent conduit
à proposer des solutions différentes pour la gestion des accidents :
· à la mer, la sûreté des installations est assurée avec les seuls moyens
du bord durant un laps de temps suffisant pour que l’on puisse
attendre un secours (15 jours typiquement) ; dans le cas du porte-avions,
la présence d’une piste d’atterrissage permet la réception
d’un matériel non prévu en rechange ou d’un personnel spécialisé
en secours,
· navire à quai, on peut prévoir un secours complémentaire aux installations
embarquées.
Du fait de la contrainte de disponibilité, celle
de la sûreté s’exprime de façon assez différente de celui du cas
des autres types de réacteurs. Ce qui compte, c’est la sûreté
de l’ensemble réacteur+navire et non pas celle du seul réacteur nucléaire.
Le meilleur compromis entre disponibilité et sûreté est à trouver. Exemples :
· la nécessité de définir une situation “de repli” pour le réacteur
autorisant le fonctionnement à puissance éventuellement réduite en cas
d’indisponibilité fortuite constatée d’un équipement de
sécurité en l’attente de sa remise en état ou du retour au port
si la réparation n’est pas possible à la mer,
· la latitude laissée - ou
non - à l’équipage
d’inhiber certaines actions de sécurité lors de situations opérationnelles
ou de fortunes de mer exceptionnelles,
· la définition de solution de remplacement permettant au navire de poursuivre
sa mission à allure éventuellement réduite en cas d’anomalie
affectant un dispositif de manœuvre des absorbants de contrôle
de la réactivité du cœur.
2.5 L’exploitation : la conduite et la maintenance
2.5.1 La conduite
La conduite est réalisée par un faible nombre de
personnes qu’il n’est pas possible de remplacer ou de renforcer
à court terme si nécessaire. Typiquement, un seul opérateur est dévolu
à la conduite du réacteur. Étant donné les problèmes de formation auxquels
est confrontée la Marine, il est indispensable que la conduite soit
simple et relativement intuitive. Les locaux de conduite sont beaucoup
plus réduits et plus généralement les conditions de conduite sont très
différentes de celles du réacteur à terre.
2.5.2 La maintenance et l’entretien
La maintenance du réacteur de propulsion navale est
gouvernée par celle du navire qui impose son cycle d’entretien
et son environnement. Exemple type : Le renouvellement du combustible
doit se faire au port d’entretien et les moyens nécessaires doivent
tenir compte des installations existantes, souvent de conception assez
ancienne. Il faut en tenir compte et s’adapter. Le rechargement du combustible représentant pour le navire une indisponibilité assez
longue, il est indispensable que cette opération soit très peu fréquente
et la plus rapide et commode possible ; d’où les efforts pour
augmenter le plus possible la durée de vie des cœurs.
La résolution des problèmes de maintenance des petits
équipements présents dans le compartiment réacteur est rendue plus ardue
du fait de son exiguïté. Une analyse très complète des problèmes d’accessibilité
et de démontabilité est à réaliser avant de figer l’aménagement
retenu pour les installations du réacteur.
Avec le recul que donnent maintenant les 40 années
d’existence de la propulsion nucléaire, on peut affirmer que bien
avant d’autres préoccupations en termes de performances ou autres,
ce sont en fait les problèmes d’exploitation (facilité de conduite,
facilité d’entretien, disponibilité moyenne calendaire) qui déterminent
le succès ou l’échec d’une conception.
3. Le parc de navires à propulsion nucléaire 
3.1 Le développement “dopé” par
la guerre froide
Dès la divergence de la première pile, par Enrico
Fermi ,à Chicago aux États-Unis en 1942, la propulsion des sous-marins
est immédiatement citée comme une application prometteuse (l’année
1942 est marquée par un nombre considérable de torpillages de navires
américains). Durant la guerre mondiale, la priorité est donnée au développement
de l’arme nucléaire (Projet MANHATTAN), mais la guerre froide
va donner une impulsion décisive et extraordinaire au développement
de l’application :
· le 20 mars 1953 : Divergence du premier réacteur prototype de propulsion
nucléaire à Idaho,
· le 17 janvier 1955 : Première plongée en route libre à propulsion nucléaire
du NAUTILUS,
· 1959 : en France : lancement du projet “COELACANTHE”,
· 1960 : 4 navires américains à la mer; 1 navire russe,
· août 1964 : en France : Divergence du prototype à terre (PAT) de
Cadarache,
· 1970 : 90 navires américains à la mer; 55 navires russes,
· 1971 : en France ; Le REDOUTABLE à la mer,
· 1975 : Le nombre de navires à propulsion nucléaire de l‘URSS dépasse
celui des États-Unis,
· 1980 : 125 navires américains à la mer; 150 navires russes.
Fig. 2 - Évolution
des flottes nucléaires militaires -Nombre de navires à propulsion nucléaire
par pays.

L’inflexion de ces courbes, depuis 1990, illustre
le volume du “surarmement” en la matière auquel a correspondu
cette période historique.
3.2 La situation actuelle des marines nucléaires
3.2.1 Les sous-marins
Concernant les sous-marins, on distingue de façon
conventionnelle :
· les SNLE : (Sous-marins Nucléaires Lances Engins), SSBN suivant la terminologie
anglo-saxonne : il s’agit de ”bases de lancement de missiles
stratégiques balistiques” sous-marines discrètes et mobiles, indétectables
en pratique. Ces sous-marins sont généralement de fort ou très fort
tonnage - 8.000 à 16.000 tonnes typiquement- du fait principalement
de l’encombrement des missiles,
· les SNA (Sous-marins Nucléaires d’Attaque) : SSN suivant la terminologie
anglo-saxonne : il s’agit alors de sous-marins dont la vocation
rejoint celle des sous-marins classiques et se trouve donc beaucoup
plus diversifiée que celle des SNLE. Ces sous-marins sont généralement
de moyen tonnage, supérieur à celui des sous-marins classiques océaniques
— 2500 à 6000 tonnes —, avec une tendance récente à l’accroissement
liée à l’emport d’armes de plus en plus performantes et
à la recherche de la discrétion acoustique. A noter que, la miniaturisation
aidant, les SNA sont capables d’emport d’armes nucléaires
tactiques ou préstratégiques (torpilles nucléaires ou missiles de croisière).
3.2.2 Les navires de guerre de surface
Concernant les navires de guerre de surface, la propulsion
nucléaire est réservée aux très grands bâtiments, on distingue :
· les porte-avions ou porte-aéronefs à propulsion nucléaire (PAN) pour lesquels
le mode de propulsion nucléaire présente un certain nombre d’avantages
qui seront développés par la suite,
· les autres grands bâtiments de combat ou de soutien (croiseurs nucléaires,
navires ravitailleurs) construits par les Américains et les Russes en
un nombre restreint d’unités.
3.2.3 Les navires à propulsion nucléaire
à vocation non exclusivement militaire
Les seuls navires à propulsion nucléaire, à vocation
autre que militaire, réellement exploités durant une période significative
sont les navires brise-glace. Seuls les Russes ont mis sur pieds et
exploitent une flotte de navires de ce type.
La propulsion nucléaire navale est donc depuis
l’origine une application sous-marine et militaire
de l’énergie nucléaire. Il est vraisemblable que cette
situation va perdurer. En effet, les conditions réglementaires,
économiques, politiques et d’opinion publique ne sont pas
réunies pour voir cette situation évoluer à moyen terme.
3.3 Les perspectives à moyen terme
On donne, ci-après une vision prospective de l’état
des marines nucléaires en 2025 en distinguant les actuels membres du
club et les adhérents potentiels (Cf. Tableau II). La décrue
de l’antagonisme Est/Ouest conduit à une réduction du format des
marines militaires des nations de l’hémisphère nord (comme le
montrent les courbes de la figure 2). Toutefois, les missions de base
qui sont dévolues aux marines des grandes nations maritimes (les membres
du club) ne changent pas réellement de nature. Les capacités de projection
rapide et d’interventions lointaines se trouvent globalement
maintenues. Les grandes nations maritimes conserveront :
· une capacité nucléaire stratégique à un niveau réduit et théoriquement
figé par le traité sur l’interdiction des essais (soit donc en
pratique une flotte de SNLE),
· une marine de haute mer capable de garantir les voies de communication
vitales,
· une capacité de frappe contre terre depuis la haute mer (soit donc en
pratique une aéronavale).
Ceci suppose, entre autres, une capacité de surveillance
et de contrôle d’une vaste zone au pourtour de la force aéronavale
et donc notamment une capacité anti-sous-marine. L’arme sous-marine
restera une composante essentielle des grandes marines de guerre. Le
sous-marin nucléaire est et restera le sous-marin de supériorité. Les
marines possédant la capacité nucléaire la conserveront, en limitant
son volume au strict nécessaire de façon à limiter les dépenses et
s’efforceront de dissuader les autres marines (les adhérents potentiels)
de s’équiper par tous les moyens possibles.